08 septembre 2006

Bombay..


Août 74

Il est quatre heure du matin , épuisé par l'interminable vol charter je suis écroulé sur une banquette poisseuse , la tête sur mon sac à dos , avec quelques autres routards à attendre le lever du jour pour quitter l'aéroport endormi . A travers la vitre sale , je regarde les avions immobiles sur le tarmac , couverts de grands oiseaux lugubres serrés les uns contre les autres en funèbres guirlandes , quelqu'un m'explique que ce sont des vautours , certains habitants du voisinage ont pour coutume de déposer leurs morts sur le toit des maisons afin de servir de nourriture aux charmants volatiles qui viennent digérer leur festin sur les ailes des longs courriers , incrédule je me retourne pour vérifier si l'on n'essaie pas d'abuser de ma naïveté , mais non , l'individu a l'air sérieux de celui qui connaît son sujet , il ne plaisante sûrement pas , l'estomac retourné je pense qu'il dit vrai .

Quoi qu'il en soit je coupe court à son histoire et lui demande de ne pas approfondir , je me cale dans mon coin et me laisse aller à la somnolence dans la touffeur moite de ma première nuit indienne .

L'aube blafarde me tire de ma torpeur , je me lève péniblement , charge mon sac sur le dos et gagne la sortie . Il fait encore sombre , le bitume fatigué brille d'humidité , je me dirige vers un taxi antédiluvien , presque une épave , ma chemise et mon jean me collent à la peau , je ruisselle de sueur , le chauffeur affalé sur son volant sursaute à mon approche , jaillit de son véhicule et me noie sous un déluge verbal incompréhensible , je saisis néanmoins que je lui fais un grand honneur d'avoir choisi sa poubelle plutôt qu'une autre , qu'il était le meilleur du pays , que les dieux m'avaient fait un grand cadeau de le mettre sur ma route , avec force courbettes il me débarrasse de mon sac qu'il jette dans son coffre rouillé qu'il referme avec une ficelle , je n'ai pas d'a priori contre les palaces qu'il me propose mais je lui demande simplement de me conduire au centre de la ville préférant me faire ma propre idée sur mon futur lieu de villégiature .

Le ciel est bas et lourd d'énormes nuages noirs , la voiture avance lentement sur la route défoncée , zigzaguant entre ornières et flaques boueuses , se frayant à grands coups d'avertisseur un chemin au milieu d'une foule de zombies fantomatiques et silencieux , blanches silhouettes de cauchemar en mouvement dans la pénombre glauque et nébuleuse , interminable cortège chargé d'objets hétéroclites balayé furtivement par le pinceau des phares , visions fugitives qui me glacent le sang .

Après un long moment nous longeons maintenant de sombres bâtisses , de plus en plus nombreuses et rapprochées au fur et à mesure de notre progression , paysage dantesque d'après bombardement , j'ai l'impression d'évoluer dans un champs de ruines multicolores grouillant d'une vie moyenâgeuse , la cour des miracles , un gigantesque bidonville bâti de bric et de broc , des effluves nauséabondes m'emplissent les narines , la chaleur augmente de minute en minute , j'ai la désagréable impression que je vais tourner de l'œil mais je suis malgré tout fasciné par le spectacle ... je pense bizarrement aux magnifiques photos que je vais pouvoir tirer d'une aussi splendide décrépitude .

Le nez collé à la vitre je ne me suis pas rendu compte que la voiture s'était immobilisée , le petit chauffeur m'ouvre la portière ,

- J'ai demandé le centre de la ville ! -

- -It's here Sahib !

- J'y étais .... éberlué je lui tend quelques roupies , charge mon sac sur le dos et me mêle aussitôt à la fourmilière humaine .